PRESS RELEASE:
"Personnages secondaires"
Parfois il suffit d’un détail pour qu’un objet bascule vers le champ d’une inquiétante étrangeté. Les œuvres réunies par Bettina Samson pour sa nouvelle exposition à la galerie Sultana sont issues de ces détournements du réel, elles sont faites de chutes, d’essais et de scories anonymes. Au fur et à mesure du processus de production, ces éléments s’imposent à l’artiste comme des personnages à part entière, des présences qui réclament leur propre autonomie. Ici, elles acquièrent une personnalité propre, sans que les gestes effectués ne permettent pour autant de les circonscrire, de leur assigner un rôle définitif.
Faux Flowers, une composition ornementale de fleurs sauvages artificielles réparties au sol de part et d'autre d'un axe central selon des ramifications invisibles, a été inquiétée par l'ajout d'éléments inattendus et discrets, appartenant aux domaine de l'enfance, du nettoyage industriel, des activités rituelles.
L'intimité anonyme qui s'en dégage, le trouble que cela produit peuvent évoquer l'indocilité des corps minorisés, « éclipsés » des récits historiques ou humains. Là où les quelques gestes de transformation à l'origine de la petite sculpture murale, Policeman, Undressed, pourront se faire l'écho de ruses déployées par une communauté subalterne, cultivant des formes de résistance cachée, infrapolitique.
L'exposition « Personnages secondaires » raconte notamment l’histoire de jeunes femmes qui, dans les années 1830, rejoignirent volontairement le mouvement des Shakers aux Etats-Unis, pour participer à la construction d'une communauté en dehors de toutes les conceptions traditionnelles de la famille. Beaucoup d’entre elles étaient des dessinatrices remarquables à qui l’on doit la re-transcription formelle de révélations et de visions eues pendant des moments de transe et d'extase mystique. Leur nom tout comme leur intimité étaient forcés à l’invisibilité par le puritanisme et l'austérité du mouvement. Ainsi, les tresses de cheveux qu’on retrouve dans certaines pièces de l’exposition, Une #I, Une #II, Une #III, etc., font appel à l’intimité de ces jeunes femmes rebelles qui s’envolèrent du nid familial pour rejoindre une communauté basée sur le célibat, l'abandon de la propriété et l’égalité radicale des sexes. Ces éléments de coiffure peuvent aussi se lire comme autant de gestes d’insubordination au refus de toute forme d’ornementation et de décoration qui animait le mouvement et, plus généralement, l'esthétique moderniste dont les Shakers ont été des importants précurseurs grâce à l’élaboration d’un design extrêmement épuré et d’un minimalisme architectural affirmé.
Bettina Samson se sert de ce type d’ornement, cheveux et tresses, comme d’un matériau à la fois subversif et inquiétant pour son rapport symbolique à la jeunesse, mais également à la relique, qui traduit pour la première fois, dans la retenue dans les formes, l'histoire personnelle de l'artiste. Les expériences médicales infantiles, adolescentes et plus récentes, vécues par l'artiste, prennent ici un relief particulier, et mettent en lumière les enjeux sociaux d'une occultation de la maladie et des tabous entourant l'enfance, l'adolescence, la survie et la mort, ainsi que les inégalités de genre entretenues par la médecine.
La scorie, les expérimentations, le hasard sont tous des éléments fondamentaux dans l'œuvre de Bettina Samson. L’accident fait partie intégrante de son processus de création et ses pièces sont souvent issues d’un geste non intentionnel.
Certaines des œuvres présentées dans l’exposition sont ainsi réalisées en céramique, un matériau que l’artiste aborde délibérément d’un point de vue de non-spécialiste, jouant avec les aléas de la matière et les imprévus de la phase de cuisson. Deux sculptures en faïence posées sur des socles carrelés au motif de résille, Mesh Sculpture #I et #II, occupent ainsi le centre de l’espace comme des petites architectures se tenant à la frontière du rationnel et du magique.
En arrière-plan apparaît un paysage végétal luxuriant, Apocalypse as Aphrodisia, le résultat du scanogramme d'une composition de plantes et d'objets. Imprimée sur un support hydrofuge, l'image s'est métamorphosée, innervée de l'intérieur par la diffusion et le refoulement des différentes encres, avant d'être scannée à nouveau et agrandie au format affiche et imprimée sur papier ultra mat. Le gros plan permet de transformer le végétal infiltré d'objets anecdotiques et prosaïques en un paysage foisonnant ressemblant à s'y méprendre à de la peinture sur velours.
Avec ses gestes subtils de détournement, Bettina Samson brouille les frontières entre le vivant et l’inerte, le naturel et l’artificiel, la docilité se muant en insoumission par la magie d'une réversibilité des points de vue mis en continuité. Ses personnages secondaires occupent petit à petit le devant de la scène, guident le regard du spectateur et finissent par devenir les principaux protagonistes.
Elena Cardin & Bettina Samson
"Supporting Characters"
Sometimes all it takes is a detail for an object to tip over into the realm of the disturbingly strange. The works gathered by Bettina Samson for her new exhibition at the Sultana Gallery are the result of these detours of reality, they are made of scraps, tests and anonymous dross. As the production progresses, these elements impose themselves on the artist as characters in their own right; like presences that claim their own autonomy. Here, they acquire their own personality, impervious to the artist’s gestures in her attempts to circumscribe, or assign them a definitive role.
Faux Flowers, an ornamental composition of artificial wild flowers spread on the ground on either side of a central axis according to an invisible logic, has been disturbed by the addition of unexpected and discreet elements, belonging to the domain of childhood, industrial cleaning, ritual activities.
The anonymous intimacy that emerges, the disturbance that it produces, can evoke the obstinacy of minority bodies, "eclipsed" from historical or human narratives. Here, or in the little gestures of transformation done to the small mural sculpture, Policeman, Undressed, could echo the tricks deployed by a subaltern community, cultivating forms of hidden, infrapolitical, resistance.
The exhibition "Supporting Characters" tells the story of young women who, in the 1830s, voluntarily joined the Shaker movement in the United States in order to participate in the construction of a community outside of all traditional conceptions of the family. Many of them were remarkable artists who were responsible for the formal re-transcription of revelations and visions experienced during moments of trance and mystical ecstasy. Both their names and their intimacy were forced into invisibility by the puritanism and austerity of the movement. Thus, the hair braids found in some of the pieces in the exhibition, Une #I, Une #II, Une #III, etc., appeal to the intimacy of these rebellious young women who flew away from the family nest to join a community based on celibacy, the abandonment of property, and radical gender equality. These hair elements can also be read as gestures of insubordination to the refusal of all forms of ornamentation and decoration that animated the movement and, more generally, the modernist aesthetic of which the Shakers were important precursors thanks to the elaboration of an extremely refined design and an affirmed architectural minimalism.
Bettina Samson uses this type of ornament, hair and braids, as a material that is both subversive and disquieting for its symbolic relationship to youth, but also to the relic, which translates for the first time, with formal restraint, the artist’s personal history. The medical histories of infancy, adolescence and those more recently experienced by the artist come into relief here, and highlight the social stakes of an occultation of illness, and the taboos surrounding childhood, adolescence, survival and death, as well as the gender inequalities upheld by medicine.
Waste, experimentation, and chance are all fundamental elements in the work of Bettina Samson. Accident is an integral part of her creative process and her pieces are often the result of an unintentional gesture.
Some of the works presented in the exhibition are made of ceramic, a material that the artist deliberately approaches from a non-specialist's point of view, playing with the vagaries of the material and the unforeseen events of the firing phase. Two earthenware sculptures placed on tiled pedestals with a mesh pattern, Mesh Sculpture #I and #II, occupy the center of the space like small architectures standing on the border of the rational and the magical.
In the background appears a lush vegetal landscape, Apocalypse as Aphrodisia: the result of a scanogram of a composition of plants and objects. Printed on a waterproof support, the image has been metamorphosed, innervated from the inside by the diffusion and forcible return of the different inks, before being scanned again, enlarged to poster size, and printed on ultra-matte paper. The close-up allows for the organic matter to be transformed by the infiltration of anecdotal and prosaic objects into a teeming landscape resembling a painting on velvet.
With her subtle subversions, Bettina Samson blurs the boundaries between the living and the inert, the natural and the artificial. Docility gives way to insubordination by the magic of a continuous reversal of points of view. Her supporting characters gradually take center stage, guiding the viewer's gaze and eventually becoming the main protagonists.
Elena Cardin & Bettina Samson