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Bettina Samson (1978, France) propose un projet singulier, inscrit dans sa fascination pour l'oeuvre, la danse, et les rituels d'une petite communauté religieuse protestante presque oubliée, les Shakers de Nouvelle-Angleterre, surtout connus à travers le prisme réducteur de son mobilier. Elle voit en eux une manière de lier l'informalité - celles des gestes et des émotions - avec la plus grande rigueur de la construction d'objets, de récits, et de formes partagées. Leur revival mystique des années 1830 et 1840 a produit une abondance de dessins révélés, de textes inspirés, de transes collectives et de chansons qui ont fasciné les contemporains. Bettina Samson offre avec Hinkum Looby des sculptures en mouvement et des accidents maîtrisés qui lient un travail expérimental de la matière avec une préoccupation politique et esthétique pour les gestes qui font une communauté. Ce titre, au premier abord mystérieux, fait référence à celui d'une des nombreuses chansons Shaker. Prétendument issues de révélations divines, elles étaient utilisées pour accompagner chaque moment de leurs journées et pour leurs danses collectives effrénées, jusqu'à obtenir une transe mystique partagée dont l'auteur et artiste Dan Graham mettait en évidence le caractère pré-rock'n'roll (Rock My Religion, 1983-84). Le mode de vie rigoureux des Shakers, dont il ne reste plus aujourd'hui que deux membres dans le Nord-Est des États-Unis, intégrait le travail collectif à un ensemble de rituels, liant chaque tâche de la vie en commun à une dimension sacrée. La chanson Hinkum Looby choisie par Bettina Samson est une adaptation d'un chant folklorique d'origine écossaise qui déroule une chorégraphie circulaire impliquant une par une les parties du corps dans des mouvements en apparence absurdes, jusqu'à un engagement complet pouvant mener vers la transe. C'est cette forme de mouvement, d'abord spontané, désorienté, mais qui permet peu à peu de voir émerger par le rituel une communauté de corps et d'esprit, que Samson transmet dans ses sculptures à demi-accidentelles, à l'agitation maîtrisée. Au coeur de l'exposition, quatre sculptures en grès émaillé sont posées sur des socles en bois. Bettina Samson a utilisé trois grès blancs de différentes compositions, comportant une chamotte importante - c'est à dire un grain visible - qui rappelle l'esthétique de la construction, renforcé par un geste de grattage qui se joue de la notion de finesse associée à la céramique. Les couvertes et émaux transparents, colorés, brillants et mats ont été appliqués et superposés de manière à atteindre une épaisseur qui crée une ambiguïté entre rigidité, granularité et viscosité, dans un mouvement quasi-organique. Chacune des sculptures porte un nom, comme autant de figures familières, qui réfère à l'histoire des Shakers, de leurs révélations et de leurs oeuvres. Ann Lee (2019) est la fondatrice charismatique du mouvement Shaker, une ouvrière de Manchester ayant fui l'Angleterre en 1774 avec une poignée de disciples pour fonder sa communauté idéale en Amérique. La sienne prônait à la fois un fort rigorisme religieux, un strict célibat assorti d'une division radicale des hommes et des femmes, une égalité complète des sexes, une collectivité pleine des biens et des corvées et une spiritualité mystique ancrée dans des expériences sensorielles fortes - un surprenant pré-socialisme puritain. Unifiant les quatres sculptures, les socles en bois spécialement conçus pour l'exposition réfèrent directement au mobilier des Shakers, connu pour son minimalisme. Tout comme plus tard les fonctionnalistes en architecture (form follows function), ils et elles accordaient une dimension morale aux objets, refusant toute forme d'ornementation, de décoration et de personnalisation, interprétées comme déviantes - on ne rigolait vraiment pas. Chaque objet était pensé pour faciliter les tâches ménagères, comprises comme des rituels communautaires avec un statut sacré - ainsi des chaises à suspendre ou des tables avec peu de pieds pour faciliter le balayage. Pour ses socles, Bettina Samson a choisi l'une de leurs techniques d'ébénisterie, la queue d'aronde ou dovetail, taillée à la main, qui permet d'éviter le recours à des clous dans l'assemblage des meubles tout en créant une trame visuelle par la seule superposition du bois. L'exposition fait cohabiter ces nouvelles pièces avec des éléments de la série Dead Heat (2016-17), composée de plaques de verres colorées, fusionnées à très haute température, présentées au mur. Leur apparence résulte d'accidents et de défauts imprévisibles, provoqués par l'artiste qui a poussé à bout les limites techniques de la cuisson : des bulles se forment et explosent, inversant et mélangeant les couleurs, dans un processus jamais parfaitement reproductible. Poursuivant une pratique transformant le vocabulaire technique de la céramique, Bettina Samson présente un ensemble de petites sculptures intitulé Horloges (2019). Elles sont composées de cônes pyrométriques, c'est à dire d'éléments de matériaux fusibles qui, en se courbant dans différentes conditions, donnent au céramiste l'indication visuelle de la température de cuisson. L'artiste transforme ces éléments jetables, façonnés en partie par le hasard jusqu'à créer ces inquiétantes séries de crocs recourbés en les ordonnant dans une démarche sculpturale. Enfin, Bettina Samson a inclu la discrète présence de Rail Papillon (2019), section de rail provenant de lignes de fret désaffectées, dont l'altération de perspective lui donne une autre nature, tout en donnant à contempler sur ses surfaces polies la force de l'écrasement de l'acier, qui lui a donné sa forme de noeud papillon renversé. En faisant appel dans ce nouveau projet à l'histoire complexe des Shakers, elle s'intéresse à la capacité de cette communauté à établir un mouvement de va-et-vient entre l'informalité - des visions, des émotions, d'accidents du langage ou de la forme - et une forme structurée de création du sens. À travers les contorsions de ses sculptures, Bettina Samson raconte autant d'histoires où le mouvement - celui des corps en transe, celui des gestes obsessionnellement répétés, celui de la céramique transformée - sert de support à l'écriture de récits organisant le monde, permettant parfois d'y ajouter du sens, parfois de le brouiller et de s'y perdre. Lucas MorinPour référence : Bettina Samson (b. 1978, France) presents an exhibition inspired by her fascination for the material culture, dance, and rituals of a small and almost-forgotten Protestant religious community, the Shakers of New England. Today only two of the once-numerous Shakers remain, both living in a small town in rural Maine. Best known for their style of furniture, Samson is interested in how the Shakers connected intimate bodily gestures and emotions with the larger-scale projects of creating objects, narratives, and shared ways of living. During a mystical revival in the 1830s and 1840s, known as the period of Mother's Work, the Shakers produced an abundance of artworks and texts inspired by divine revelation. They experienced collective trances and produced songs that fascinated contemporary observers. In Hinkum Looby, Bettina Samson displays sculptures in movement, deliberately integrating accidental forms into her work. She combines experimental work in the medium of sculpture with a political and aesthetic interest in how bodily gestures can build community. The ostensibly mysterious title of the exhibition comes from one of the many songs of the Shakers. Supposedly originating from divine revelation, these songs were used to accompany each moment of Shaker everyday life, including the collective ecstatic dances that elicited mystical trances. These trances were described as a mystical precursor to Rock and Roll by author and artist Dan Graham in his 1983-84 video work Rock My Religion. The strict lifestyle of the Shakers linked collective work with a set of rituals which sacralized the tasks of communal life. The song Hinkum Looby, chosen by Bettina Samson for the title of her exhibition, was originally a Tudor-era Scottish folk song. The Shaker adaptation was accompanied by a circular dance, where participants made apparently nonsensical movements with different parts of the body, introducing body part after body part, until the whole body was involved and participants were enraptured in a state of trance. It is this kind of movement-spontaneous and disoriented, but gradually leading to the emergence of a kind of corporeal and spiritual community-that Samson tries to express through her ‘semi-accidental’ sculptures, which suggest a kind of controlled turmoil. At the center of the exhibition, four glazed stoneware sculptures stand on wooden plinths. For these, Bettina Samson uses three different white clays with different compositions, each containing a significant amount of chamotte, thus showing a visible grain and recalling the aesthetics of construction work. This impression is reinforced by scratches applied by the artist, undermining the notions of finesse usually associated with ceramics. The glazes used by Samson-transparent, colored, shiny, and matte-are superposed to create thick layers which simultaneously appear rigid, granular, and viscous, in an almost organic manner. Each sculpture bears the name of a figure associated with the history, spiritual revelations, and artistic productions of the Shakers. Ann Lee (2019) was the charismatic founder of the Shaker movement, a Manchester worker who fled England in 1774 with a handful of followers to create a perfect community in America. This community was centered around rigid religious practices, strict celibacy ensured by separation of men and women, complete equality of the sexes, a communitarian lifestyle involving shared goods and collective chores, and a mystical spirituality anchored in strong sensorial experiences; a surprising kind of Puritan pre-socialism. Semantha & Mary (2019) and Emily Babcock (2019) were ‘instruments’, the name given by Shakers to the believers who received ‘gifts’ (visions, songs, and texts) from the spirits. Babcock created reproductions of numerous spiritual revelations through calligraphy and illustration, attempting to give order to the messages and teachings she received from the ‘other side’. Unlike the spontaneity associated with automatic writing and other trance experiences, her work indicates a desire to organize the world through writing and spatial representations. These drawings were a means of relating a mystical experience, and defied contemporary rules of representation by using numerous quasi-modernist symbols, which Bettina Samson sees as both a prefiguration of abstraction in art, and an early mystical form of the storyboard. Carrifick P. (2019) was one of the so-called ‘Indian’ spirits, supposedly originating in the culture of the indigenous peoples of North America, who communicated with the Shakers. These spirits were often amalgams of different cliches related to indigenous people, including the connected perceptions of their childlike innocence and savageness. They were seen as allowing direct access to divine revelation, without the need of an intermediary. They point to the syncretism of Shaker practices, as well as their interest in the tragic fate of indigenous peoples. However, they also indicate the limited understanding Shaker believers had of these peoples, who had by then largely been driven out of areas of Shaker settlement. Connecting the four sculptures, the wooden plinths created for the exhibition refer directly to the Shakers’ style of furniture, famous for its minimalism. Like the functionalists in architecture who followed them (whose dictum was “form follows function”), they believed that objects had a moral dimension. Thus, they rejected ornamentation, decoration, and personalization, which they saw as frivolous and deviant. Objects were designed with the communal household tasks that were viewed as sacred in mind, for example hanging chairs and tables with a small number of legs, designed to facilitate sweeping. For the stands, Bettina Samson uses a Shaker woodworking technique, the hand-carved dovetail. This technique removes the need for nails in furniture construction, and creates a visual grid through the superposition of the pieces of wood. The exhibition brings these new pieces together with others from the Dead Heat (2016-17) series which are displayed on the wall, composed of sheets of colored glass fused at a very high temperature. Their appearance is the result of accidents and unexpected errors provoked by the artist by pushing the firing process to its technical limits. Bubbles form and explode, colors mix and invert, in a process that is impossible to reproduce in an identical manner. Continuing her creative project of transforming the technical vocabulary of ceramics, Bettina Samson also presents a series of small sculptures entitled Horloges (Clocks) (2019). These are composed of pyrometric cones; bits of fusible materials which bend in different ways in different heat conditions, to give the ceramist a visible indication of what temperature pieces are being fired at. The artist transforms these normally disposable pieces, shaped in part by chance, by placing them side by side to create a disturbing succession of hooked fangs. Lastly, Bettina Samson includes the unobtrusive work Rail Papillon (Rail Butterfly) (2019), created from a section of railroad track taken from a disused freight line. Viewed in this altered state, the material seems to take on a new nature, its polished surfaces calling attention to the force applied to roll the steel, giving it its current form resembling a butterfly or a bow tie. In recalling the complex history of the Shakers, Samson looks at the community’s ability to connect the unstructured experiences of visions, emotionality, and linguistic accidents with larger systems of meaning-making. Through the contortions of her sculptures, Samson tells multiple stories in which movement-whether that of entranced bodies, obsessionally repeated gestures, or transformed ceramics-compliments the written narratives that organize the world. At times, they add new meaning, and at times they distort existing understandings, so that any certainty of meaning is lost. Lucas MorinReferences: |