PRESS RELEASE:
Il y a toujours une image avant et une image après. Le présent de la peinture qu’est-ce que c’est ? Le lundi n’existe pas. C’est toujours le dimanche ou le mardi. Et le lundi est tout simplement la liaison entre les deux. Et l’image c’est ça, la rencontre de plusieurs réalités. Morceler pour mieux faire voir, c’est le sentiment qui résonne quand je commence à écrire sur le travail de Jean Claracq.
L’exposition de Jean Claracq à la Galerie Sultana est la première exposition personnelle de l’artiste en galerie. Les tableaux ont été commencés en 2020 et certains terminés presque hier. Peu importe puisqu’il a sa temporalité propre. Il peint lentement, il allonge le temps. Tant mieux, je crois, cela nous laisse le temps de parler autrement, de raconter des histoires qui ont un rythme singulier, et pour moi de vous raconter le temps des fictions de Jean Claracq.
Il n’y a pourtant rien d’imaginaire à proprement parler dans ses peintures. Jean Claracq est un peintre figuratif qui compose ses tableaux avec des fragments visuels trouvés sur internet. Il a reçu un enseignement classique de la peinture et a acquis une connaissance de l’Histoire de l’art qui lui permet de jouer avec ses codes et références ; Herri Met de Bles, Van Eyck puis Hockney ou Richter. Il peint sur bois à la manière des peintres flamands, en remplissant le vide par des détails, mais respecte les règles de la composition des maîtres de la Renaissance italienne. Et il sourit en énonçant ces grands principes de l’Histoire de l’art — non sans une réelle admiration à peine cachée.
La mise en rapport d’éléments micro et macro dans les paysages de Jean Claracq permet de figurer l’idée que les peintres flamands de la Renaissance se faisaient de la façon dont Dieu percevait le monde : par une attention portée au global et au détail. L’omni-voyance évoque celle du Créateur englobant l’ensemble du monde terrestre de façon saisissante par le rendu extrême des moindres détails. Le rapport d’échelle est accentué par le format des tableaux. Jean Claracq privilégie les tableaux miniatures. Certaines oeuvres de l’exposition pourrait tenir au creux de la main. Il faut engager le corps, se rapprocher pour voir l’intime du tableau ou l’intime dans le tableau pour les grands formats, enserre le paradoxe du regard aérien capable de saisir la totalité et les moindres parties, à la fois synoptique et analytique, un topos antique que Jean a su redécouvrir et reformuler. Certains détails invisibles à l’oeil nu participent du mystère de la peinture. Ils ouvrent et multiplient les possibilités du récit.
L’espace de l’exposition Jean Claracq définit et matérialise le cadre du récit. L’artiste y encarte certains chapitres, symbolisés par les cadres qui cernent les oeuvres. Des Marie-Louise en bois, un cadre vitré simulant un écran, ou une simple caisse américaine viennent rythmer l’histoire de l’exposition. La question du dispositif est très importante pour comprendre l’oeuvre de Jean Claracq. Elle vient mettre en lumière les jeux de champ et hors champ opérés non seulement dans les compositions mais aussi dans le choix de mise en présence de ses tableaux entre eux. Autant de sujets réalisés au cours d’une même période, pourtant rassemblés ici sans ‘thématique’. L’unité de l’exposition vient peut-être de ce champ, cette portion d’espace réel délimitée par le cadrage — et ses multiples définitions que Jean lui confère.
Cette vision distante et panoptique est celle qui est à l’oeuvre dans les recherches iconographiques de l’artiste, en lien avec la techno phénoménologie d’Internet. C’est comme ça qu’il effectue ses recherches, qu’il choisit ses modèles et ses motifs. Comme ça qu’il constitue son carnet iconographique. Dans son travail, des occurrences visuelles reviennent -— comme une sorte de refrain - à l’image de ses personnages homo-érotiques en proie à une solitude contemporaine. Les modèles sont trouvés sur Instagram pour la plupart. Jean Claracq ne les connaît pas, pourtant, il étudie le profil de ces jeunes hommes qui entrent dans son langage pictural et qui sont représentés dans plusieurs de ses tableaux. L’étude qu’il réalise lui permet d’incarner ses personnages non pas comme des symboles mais plutôt comme réels protagonistes avec lesquels il initie un dialogue : Florian, Lucas, Noen... Par-delà l’image, il cherche à mettre du sens dans le monde, dans le quotidien.
Ce quotidien c’est également le nôtre, celui des objets qui nous entourent et que l’artiste s’approprie : une collection d’images, de scènes avec lesquelles il compose. Dans le désordre, des immeubles post industriels, un tapis, un ordinateur, des livres, la présence de marques, une voiture… une Lamborghini rose — ce modèle-là n’existe pas, me dit-il.
A la Galerie Sultana, de nouvelles trames apparaissent dans une continuité avec les dernières peintures. Un focus sur le capitalisme et sur la violence de l’image présents dans les oeuvres plus anciennes précède une préoccupation engagée de notre relation à la nature. Loin d’être dans un discours moralisateur ou inquisiteur, Jean Claracq décontextualise ses scènes contemporaines pour mettre en lumière les incohérences écologiques actuelles.
En attestent "Mausolée" et les mausolées iraniens à l’architecture post moderne, signifiants d’une archéologie du futur. Un voyage touristique imaginaire, empreint de la science-fiction qui fait tout autant partie de son bagage culturel qu’une référence au peintre de ruines Hubert Robert. Ce tableau se situerait dans un hypothétique à-venir et pourtant, les personnages respectent les codes de notre société contemporaine ; casquette, couleurs fluos, baskets… Jean Claracq transpose une réalité qui nous est propre dans un temps futur qui ne saurait arriver. Ou encore cette juxtaposition antinomique des livres " Foundation and Earth " d’Isaac Asimov - récit sci-fi dont les personnages issus de la planète GAIA recherchent la planète Terre et de "Fountainhead" d’Ayn Rand, pensée libertarienne qui place l’égo de l’Homme comme source vive du progrès humain — effaçant presque les mines d’extraction en arrière-plan dans le tableau "Dikhotomia".
Ces voyages imaginaires, ces récits ‘sciences fictifs’ rendent compte du regard de l’artiste sur notre société et nos actions sur la nature. Un état des lieux plus qu’une condamnation. Les tableaux de Jean Claracq ne communiquent pas un sentiment de climato-anxiété mais plutôt une métaphysique de la nature : une décontextualisation qui permet de nous distancer pour mieux observer ce qui est en train d’arriver. Il situe le malaise de notre génération ailleurs ; un temps figé, un échec de la post-modernité. Mais ce n’est pas grave, ratons encore, ratons mieux.
On n’aurait presque envie d’embarquer à bord d’un des navires du récit de Isaac Asimov. Regarder défiler à travers la vitre du vaisseau spatial ou bien celle d’un téléphone, les images de notre temps. Des images qui auraient leur mode de vie propre, nous laissant la responsabilité de combler les intervalles. Ces images-objets que l’on retrouve dans les oeuvres de Jean Claracq, comme ce panneau publicitaire dans "Sur la route" nous permettent d’appréhender notre monde des images, tout en y décelant le bien dans les choses. Et c’est en quelque sorte une métamorphose des choses du monde, une nouvelle image-pensée que provoque la rencontre des images de Jean Claracq. La beauté de l’image est ainsi fonction du choc entre les deux réalités qu’elle rapproche. Plus celles-ci seront éloignées, plus le choc sera puissant et beau.
Jean Claracq ne cherche pas à suivre une trame narrative mais il écrit une histoire à l’intérieur de la peinture. L’assemblage des fragments trouvés sur la base de données infinie donne lieu à un montage quasi cinématographique. C’est par le regard que l’histoire se construit et que les morceaux s’assemblent. Cette poétique du montage, à l’oeuvre dans le travail de Jean Claracq évoque l’image surréaliste. Il forme des liaisons inattendues qui suscitent une émotion que notre perception des choses au monde ne saurait créer.
Godard écrit : "II n’existe plus d’images simples. Le monde entier est trop pour une image. Il nous en faut plusieurs, à la chaîne." Les tableaux de Jean Claracq ne sont pas des images simples — si tant est que de telles choses existent. Peut-être m’accordera-t-on cette digression de citation : ce n’est plus le monde entier qui est trop pour une image, mais les images qui sont trop pour le monde. Peut-être faut-il opérer une conversion du regard pour pouvoir accepter les images et rendre à la nature son imaginaire, ses représentations.
Sacha Guedj Cohen
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There is always an image before and an image after. The present of painting what is it? Monday does not exist. It is always Sunday or Tuesday. And Monday is simply the link between the two. And the image is that, the meeting of several realities. Splitting up to make it better seen is the feeling that resonates when I begin to write about Jean Claracq's work.
Jean Claracq's exhibition at the Sultana Gallery is the artist's first solo exhibition in a gallery. The paintings were started in 2020 and some were finished almost yesterday. It doesn't matter since he has his own temporality. He paints slowly, he lengthens time. So much the better, I think, it gives us time to speak differently, to tell stories that have a singular rhythm, and for me to tell you the time of Jean Claracq's fictions.
However, there is nothing imaginary about his paintings. Jean Claracq is a figurative painter who composes his paintings with visual fragments found on the internet. He received a classical education in painting and acquired a knowledge of Art History that allows him to play with its codes and references; Herri Met de Bles, Van Eyck then Hockney, or Richter. He paints on wood in the manner of the Flemish painters, filling the void with details, but respects the rules of composition of the masters of the Italian Renaissance. And he smiles while stating these great principles of the History of Art — not without a real admiration hardly hidden.
The interweaving of micro and macro elements in Jean Claracq's landscapes gives us an idea of how Flemish Renaissance painters saw God's way of perceiving the world: through an attention to the global and the detailed. The omnivoyance evokes that of the Creator encompassing the whole earthly world in a striking way through the extreme rendering of the smallest details. The scale ratio is accentuated by the format of the paintings. Jean Claracq prefers miniature paintings. Some of the works in the exhibition could fit in the palm of your hand. It is necessary to engage the body, get closer to see the intimate of the painting or the intimate in the painting for large formats, encloses the paradox of the aerial gaze capable of capturing the totality and the smallest parts, both synoptic and analytical, an ancient topos that Jean was able to rediscover and reformulate. Certain details invisible to the naked eye contribute to the mystery of the painting. They open and multiply the possibilities of the story.
The space of the exhibition Jean Claracq defines and materializes the framework of the story. The artist inserts certain chapters, symbolized by the frames that surround the works. Wooden Marie-Louise, a glass frame simulating a screen, or a simple American box come to punctuate the story of the exhibition. The question of the device is very important to understand the work of Jean Claracq. It brings to light the play of field and off-field operated not only in the compositions but also in the choice of the presence of his paintings between them. So many subjects realized during the same period, yet gathered here without 'thematic'. Perhaps the unity of the exhibition comes from this field, this portion of real space delimited by the framing — and the multiple definitions that Jean confers on it.
This distant and panoptic vision is the one at work in the artist's iconographic research, in connection with the techno phenomenology of the Internet. This is how he carries out his research, how he chooses his models and motifs. That's how he creates his iconographic notebook. In his work, visual occurrences come back — like a kind of refrain - in the image of his homoerotic characters prey to a contemporary solitude. Most of the models are found on Instagram. Jean Claracq does not know them, yet he studies the profile of these young men who enter his pictorial language and who are represented in several of his paintings. The study that he carries out allows him to embody his characters not as symbols but rather as real protagonists with whom he initiates a dialogue: Florian, Lucas, Noen... Beyond the image, he seeks to put meaning in the world, in everyday life.
This everyday life is also ours, the everyday life of the objects that surround us and that the artist appropriates: a collection of images, scenes with which he composes. In the disorder, post-industrial buildings, a carpet, a computer, books, the presence of brands, a car ... a pink Lamborghini — this model does not exist, he tells me.
At the Sultana Gallery, new frames appear in continuity with the latest paintings. A focus on capitalism and on the violence of the image present in the older works precedes a committed preoccupation with our relationship to nature. Far from being in a moralizing or inquisitive discourse, Jean Claracq decontextualizes his contemporary scenes to highlight current ecological inconsistencies.
This is evidenced by the "Mausoleum" and Iranian mausoleums to post-modern architecture, signifying archaeology of the future. An imaginary tourist trip imbued with science fiction, which is as much a part of his cultural baggage as a reference to the ruins painter Hubert Robert. This painting would be situated in a hypothetical to come and yet, the characters respect the codes of our contemporary society; caps, fluorescent colors, sneakers ... Jean Claracq transposes a reality that is ours in a future time that can not happen. Or this antinomic juxtaposition of Isaac Asimov's "Foundation and Earth" — a sci-fi tale in which characters from the planet GAIA search for the planet Earth — and Ayn Rand's "Fountainhead", a libertarian thought that places the human ego as the living source of human progress — almost erasing the extraction mines in the background "Dikhotomia".
These imaginary journeys, these 'fictitious science' narratives reflect the artist's view of our society and our actions on nature. An inventory of fixtures more than a condemnation. Jean Claracq's paintings do not communicate a feeling of climate anxiety but rather a metaphysics of nature: a decontextualization that allows us to distance ourselves to better observe what is happening. He situates the malaise of our generation elsewhere; a frozen time, a failure of post-modernity. But that's okay, let's fail again, let's fail better.
One would almost feel like boarding one of the ships in Isaac Asimov's story. Watching the images of our time scroll by through the window of the spaceship or the window of a telephone. Images that would have their own way of life, leaving us the responsibility of filling in the gaps. These images-objects which one finds in the works of Jean Claracq, like this billboard in "On The Road" allow us to apprehend our world of the images while detecting there the good in the things. And it is in a way a metamorphosis of the things of the world, a new image-thought that provokes the meeting of the images of Jean Claracq. The beauty of the image is thus a function of the shock between the two realities it brings together. The further apart they are, the more powerful and beautiful the shock will be.
Jean Claracq does not try to follow a narrative framework but he writes a story within the painting. The assembly of the fragments found on the infinite database gives rise to an almost cinematographic montage. It is by looking that the story is constructed and that the pieces are assembled. This poetics of montage, at work in Jean Claracq's work, evokes the surrealist image. It forms unexpected connections that evoke an emotion that our perception of things in the world cannot create.
Godard wrote: "There are no more simple images. The whole world is too much for one image. We need several, one after the other." The paintings of Jean Claracq are not simple images — if such things exist at all. Perhaps I will be granted this digression of a quotation: it is no longer the whole world that is too much for one image, but the images that are too much for the world. Perhaps it is necessary to make a conversion of the gaze in order to be able to accept the images and return to nature its imaginary, its representations.
Sacha Guedj Cohen
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Jean Claracq (né en 1991 à Bayonne, France), vit et travaille à Paris. En 2017 il a reçu son diplôme de l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris. En 2018 il a gagné le 2e prix Antoine Marin et le prix de peinture Roger Bataille. Sa première exposition personnelle en musée a eu lieu à la Fondation Louis Vuitton, Paris, en 2020. L'exposition à la galerie Sultana est la première exposition personnelle de l'artiste en galerie.
Jean Claracq, exposition personnelle Galerie Sultana (2021), Open Space #7 Jean Claracq, Fondation Louis Vuitton, Paris (2020) Boys Don’t Cry, Le Houloc, Aubervilliers (2020), J’aime, je n’aime pas, Galerie EIGEN + ART, Leipzig (2020), Collection Agnès B, La FAB, Paris (2020), Umbilicus, Sultana, Paris (2019), "Les fleurs de l’été sont les rêves de l’hiver racontés le matin à la table des anges", Praz-Delavallade, Paris (2019), "Futures of Love", Magasins Généraux, Pantin (2019), « Mais pas du tout, c’est platement figuratif ! Toi tu es spirituelle mon amour! », Jousse Entreprise, Paris, FR (2019), Artagon IV, Heading East, Magasins Généraux, Paris, FR (2018), Felicità 18, Ecole Nationale Supérieur des Beaux-Arts de Paris, FR (2018), 100% Beaux-Arts, Grande Halle de La Villette, Paris, FR (2018).
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Jean Claracq (born in 1991 Bayonne, France), lives and works in Paris. In 2017 he received his MFA from Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris. In 2018 he won the 2eme prix Antoine Marin and the Prix de peinture Roger Bataille. His first solo museum exhibition took place at the Louis Vuitton Foundation, Paris, in 2020. The exhibition at the Sultana Gallery is the artist's first solo exhibition in a gallery.
Recent and past group exhibitions include: Jean Claracq, Solo Show, Galerie Sultana (2021), Open Space #7 Jean Claracq, Fondation Louis Vuitton, Paris (2020) Boys Don’t Cry, Le Houloc, Aubervilliers (2020), J’aime, je n’aime pas, Galerie EIGEN + ART, Leipzig (2020), Collection Agnès B, La FAB, Paris (2020), Umbilicus, Sultana, Paris (2019), "Les fleurs de l’été sont les rêves de l’hiver racontés le matin à la table des anges", Praz-Delavallade, Paris (2019), "Futures of Love", Magasins Généraux, Pantin (2019), « Mais pas du tout, c’est platement figuratif ! Toi tu es spirituelle mon amour! », Jousse Entreprise, Paris, FR (2019), Artagon IV, Heading East, Magasins Généraux, Paris, FR (2018), Felicità 18, Ecole Nationale Supérieur des Beaux-Arts de Paris, FR (2018), 100% Beaux-Arts, Grande Halle de La Villette, Paris, FR (2018).