PRESS RELEASE:
Une toile de grand format, semblant cracher son trop plein de fantaisie, nous accueille à l’entrée de l’exposition personnelle de Matthias Garcia. Elle appelle à une lecture « impressionniste » où l’on distingue l’effet d’ensemble depuis un point de vue éloigné. La vibration est entêtante, colorée, balayant un spectre de couleurs que l’on associe rarement ensemble. Or, Floralia, qui emprunte son titre à une fête voisine de la célébration païenne du printemps lors de la Rome Antique, Beltane, invite également à une contemplation rapprochée. Son monde se révèle alors avec parcimonie, telle cette fille-fleur, en bas à gauche du tableau, rehaussée par un semblant de maquillage.
Choisir d’ouvrir sur Floralia n’est pas anodin car elle ouvre sur un univers qui se propage sur l’ensemble des autres toiles, qu’elles soient de petites ou de grandes dimensions. Et c’est peut-être ce qui caractérise avant tout cette exposition : la construction d’un monde à partir d’un déploiement de pièces, qui prennent à parti l’espace même de la galerie.
Quelques jours avant le montage, Matthias Garcia avouait sans détour qu’il lui serait difficile de voir ses toiles quitter son atelier, situé temporairement dans la maison familiale aux abords de Paris. Ce qui peut relever d’une anecdote personnelle de peintre en atelier tend en réalité vers un fonctionnement amplifié du « faire monde avec ». Ici, ce monde est rentré dans le monde de l’exposition, quitte à singer un effet de décoration pour envelopper la visite dans un ailleurs.
Bien qu’elle soit la première peinture à nous accueillir dans l’espace d’exposition, Floralia se distingue, telle une peinture à moitié orpheline. Dépourvue de figure humaine de grande dimension, elle emporte les motifs qui nous cajolent habituellement (fleurs, pétales) dans un trouble pictural. Floralia est la peinture d’une saison abîmée: elle évoque le printemps qui s’écorche, tel cet empressement d’éclore qui rencontre l’envie de s’éteindre, si cher à l’artiste.
Pour poursuivre l’exploration du travail de Matthias Garcia, né en 1994 à Paris, attardons nous sur Fakeflore, réalisée, elle aussi, à l’occasion de cette première exposition personnelle à la galerie Sultana. Pour ce jeune artiste diplômé des Beaux-Arts de Paris en 2020, c’est avant tout au travers de la peinture que se trame l’histoire des mille lieux du dedans et du dehors. Dans Fakeflore, un Prince Fleur en émoi domine la toile recouverte d’un lavis vert bleu, obtenu par un mélange de peinture à l’huile et de solvants. L’effacement est à prendre au sens matériel comme au sens métaphorique. La peinture ne pourrait être appliquée sur la toile sans un certain goût pour la dissolution. Elle s’y pose, on l’efface, l’étale, la badigeonne, la barbouille comme pour dissoudre le plan des références qui se pose là, sur sa toile, abolissant les hiérarchies. Sauf que, s’agissant de Fakeflore à la différence d’autres toiles de Matthias Garcia réalisées au cours de ces dernières années, un élément épais et lourd préside : le fameux Prince-fleur, aux joues poudrées et à la destinée contrariée. Il se donne à voir, dans son ambiguïté. À ses pieds, un monde grouille : composé de fleurs et de visages fantomatiques de poupées, aux traits plus tout à fait poupons. Car dans le monde du Fakelore, qui abrite le Fakeflore, réside le régime du « pas tout à fait ». Fakelore est le monde de l’a côté du vrai, de l’après mais aussi de l’avant comme si les contes, avaient été désossés pour être de nouveaux ventriloques, conférant aux créatures venues d’ailleurs, à La petite Sirène (Andersen), à Ondine (La Motte-Fouquet), les panoplies de jeunes invertébré.es, fuyant un monde, le nôtre, pour se loger dans la peinture diluée.
L’exposition en est-elle pour autant une ode à l’âge tendre et rompu ? Elle est plutôt, pour l’artiste, l’endroit même au sein duquel se travaillent les distorsions : celles avec le réel, les âges, les saisons et les pulsions de mort, réunies dans un seul et même espace (la galerie) qui participent à leurs consolidations. Car, le monde qui découle des aspirations de Matthias Garcia est un monde imaginaire qui ne tient pas de l’ordre du refuge mais du refus (du réel), et qui se tient debout en tant que tel. Sa peinture même, puisque très diluée par les solvants accentue ce pouvoir de corrosion de l’image qui vient de naître, tout comme le printemps meurt dans son éclosion.
Le titre de l’exposition souligne la promesse de recomposition des légendes et des traditions qui ont fait naitre ces créatures en panne avec le réel et qui peuplent si souvent les toiles de Matthias Garcia. Dans son atelier à Sèvres, Matthias dispose les toiles comme des pages ouvertes en appel de simultanéité de l’acte. Il est rare en effet qu’une peinture fasse l’objet d’un travail isolé. Préférant les traiter dans un même élan, elles se répondent entre elles, nourries par les mêmes chutes, les mêmes rêves, voire le même âge. Ce dernier importe, comme le printemps. Ondine, coincée du haut de ses 15 ans - qu’elle est condamnée à vivre éternellement - veille à ce que l’ensemble des êtres prennent à rebours le temps jusqu’à l’étape finale. 15 ans, c’est aussi l’âge que l’on pourrait attribuer à ce Cronos espiègle, directement emprunté à Goya, dans Je Mangerai Tout qui semble savourer son enfant, emblème du temps, avec un détachement sans pareil.
Nul hasard, donc, qu’il ait été présenté dans des expositions aux titres évocateurs : « Do disturb festival » avec sa pièce « Death Yourself » figurant dans le projet collectif « l’institut d’esthétique » au Palais de Tokyo (2018), « Le Cabaret du Néant » au Frac Île-de-France, le Château, Rentilly (2020), ou bien encore « Henry Darger Summer Camp » et « Abbieannian Novlangue » avec Extramentale et la Galerie Sultana (2019/2020). Chacun de ces titres rappellent l’attrait de Matthias Garcia pour l’ambivalence, la fantaisie, les contes et les multiples aspects de la juvénilité, qui sous-tendent cet appel d’air d’un ailleurs pictural.
- Julia Marchand
Avec le soutien du CNAP (Centre National des arts plastiques )
A large canvas, seemingly spitting out its overflow of fantasy, welcomes us at the entrance to Matthias Garcia's solo exhibition. It calls for an "impressionist" reading where one can see the overall effect from a distant point of view. The vibration is heady, colorful, sweeping a spectrum of colors that we rarely associate together. Floralia, which borrows its title from a festival close to the pagan celebration of spring in Ancient Rome, Beltane, also invites close contemplation. Her world is then revealed sparingly, such as this flower-girl, at the bottom left of the painting, enhanced by a semblance of make-up.
Choosing to open on Floralia is not insignificant because it opens on a universe that spreads on all the other paintings, whether they are small or large. And this is perhaps what characterizes this exhibition above all: the construction of a world from a deployment of pieces, which take the very space of the gallery to task.
A few days before the installation, Matthias Garcia admitted that it would be difficult for him to see his paintings leave his studio, temporarily located in the family home on the outskirts of Paris. What may be a personal anecdote of a painter in a studio tends in reality towards an amplified functioning of "making a world with". Here, this world has entered the world of the exhibition, even if it means averting a decorative effect to envelop the visit in an elsewhere.
Although it is the first painting to welcome us into the exhibition space, Floralia stands out, like a half-orphaned painting. Devoid of any large human figure, it takes the motifs that usually cajole us (flowers, petals) into a pictorial turmoil. Floralia is the painting of a damaged season: it evokes the springtime that is flayed, such as this eagerness to bloom that meets the desire to die out, so dear to the artist.
To continue the exploration of the work of Matthias Garcia, born in 1994 in Paris, let's linger on Fakeflore, also realized on the occasion of this first solo exhibition at the Sultana gallery. For this young artist, who graduated from the Beaux-Arts de Paris in 2020, it is above all through painting that the story of the thousand places of inside and outside is woven. In Fakeflore, a Prince Flower in turmoil dominates the canvas covered with a green-blue wash, obtained by a mixture of oil paint and solvents. The erasure is to be taken in the material sense as well as the metaphorical sense. The paint could not be applied to the canvas without a certain taste for dissolution. It is posed there, one erases it, spreads it, smears it, smears it as to dissolve the plan of the references which is posed there, on its canvas, abolishing the hierarchies. Except that, as regards Fakeflore, unlike other paintings of Matthias Garcia realized during these last years, a thick and heavy element presides: the famous Prince-flower, with powdered cheeks and with the thwarted destiny. He gives himself to be seen, in his ambiguity. At his feet, a world is swarming: composed of flowers and ghostly faces of dolls, with not quite doll-like features. Because in the world of Fakelore, which shelters the Fakeflore, resides the regime of the "not quite". Fakelore is the world of the side of the true, of the after but also of the before as if the tales, had been boned to be new ventriloquists, conferring to the creatures come from elsewhere, to the small Mermaid (Andersen), to Ondine (La Motte-Fouquet), the panoplies of young invertebrates, fleeing a world, ours, to lodge themselves in the diluted painting.
Is the exhibition an ode to the tender and broken age? It is rather, for the artist, the very place within which distortions are worked: those with the real, the ages, the seasons and the impulses of death, gathered in a single space (the gallery) which takes part in their consolidations. For, the world which results from the aspirations of Matthias Garcia is an imaginary world which does not hold of the order of the refuge but of the refusal (of the real), and which holds up as such. His painting itself, since it is very diluted with solvents, accentuates this power of corrosion of the image that has just been born, just as the spring dies in its blossoming.
The title of the exhibition underlines the promise of recomposition of the legends and traditions that gave birth to these creatures at odds with reality and that so often populate the paintings of Matthias Garcia. In his studio in Sèvres, Matthias arranges the canvases like open pages in a call for simultaneity of the act. It is rare indeed that a painting is the object of an isolated work. Preferring to treat them in the same momentum, they respond to each other, fed by the same falls, the same dreams, even the same age. The latter matters, like spring. Undine, stuck at the top of her 15 years - that she is condemned to live forever - sees to it that the whole of the beings take backwards the time until the final stage. 15 years old is also the age we could attribute to this mischievous Cronos, directly borrowed from Goya, in Je Mangerai Tout who seems to savor his child, emblem of time, with an unparalleled detachment.
No coincidence, then, that he has been presented in exhibitions with evocative titles: "Do disturb festival" with his piece "Death Yourself" featured in the collective project "the institute of aesthetics" at the Palais de Tokyo (2018), "Le Cabaret du Néant" at the Frac Île-de-France, the Castle, Rentilly (2020), or "Henry Darger Summer Camp" and "Abbieannian Novlangue" with Extramentale and the Sultana Gallery (2019/2020). Each of these titles recalls Matthias Garcia's attraction to ambivalence, fantasy, storytelling, and multiple aspects of juvenility, which underlie this call for a pictorial elsewhere.
- Julia Marchand